Défense Aérienne: La Difficile Reconversion Du Gripen De Zéro à Héros

Malgré un crash retentissant en votation, le Gripen repart en vol. Saab fait partie des cinq avionneurs retenus en vue de l’acquisition d’un nouvel avion de combat. Le fabricant suédois croit en ses chances et se lance dans un lobbying actif. En début de semaine, il a invité une poignée de journalistes suisses à découvrir ses usines sur place.

«Nous avons réfléchi avant de nous lancer dans la course, explique Rustan Nicander, représentant de Saab en Suisse. Rapidement, nous avons décidé de foncer. Lors de la dernière évaluation, nous avons été choisis par Armasuisse et le gouvernement. Notre offre reste la meilleure.» Ce qu’il ne dit pas, c’est que, avant de foncer, l’entreprise a quand même mené une enquête d’opinion pour savoir si la marque Gripen n’avait pas trop souffert du dernier échec.

Si Saab croit pouvoir dépasser cette image de loser, il aura plus de mal à surmonter le reproche qu’on lui faisait en 2014: proposer un avion en papier. Lors de la campagne, le Gripen E, le modèle que la Suisse voulait acquérir, n’était encore qu’au stade de projet.

Désormais, il existe, mais il s’agit encore de prototypes. Saab en a trois. Le premier est opérationnel depuis une année et a effectué 300 heures de vol. Les deux autres devraient décoller d’ici à l’an prochain. Les premiers avions en série devraient être livrés dans la foulée à la Suède. Mais pas sûr qu’ils soient disponibles pour les évaluations en Suisse, prévues en 2019. «Je pense qu’il y a une mauvaise perception de ce que vous appelez un prototype, corrige Rustan Nicander. Le jet que nous testons depuis un an est déjà produit selon les critères d’un avion en série.»

Un jet en phase de test

Pour convaincre, Saab a un autre tour dans sa poche: les affaires compensatoires, à savoir les contrats que le fabricant devra signer avec des entreprises locales s’il est choisi par la Suisse. Lors de la dernière évaluation, l’avionneur suédois avait déjà entrepris des démarches. Ainsi, en dix ans, ce sont 500 millions que l’avionneur a générés en Suisse. «C’est la preuve que nous savons comment mener le business ici, détaille Rustan Nicander. Nous pouvons nous fonder sur un réseau industriel existant.»

Reste cette question centrale, Saab peut-il passer de zéro à héros? Farouche opposant au Gripen, Thomas Hurter (UDC/SH) refuse de se prononcer mais s’étonne qu’un avionneur fasse déjà à ce stade du lobbying en invitant des journalistes. «Le choix de l’avion a pesé lourd lors de la dernière votation. Il n’avait pas le soutien de l’armée, rappelle Jean-René Fournier (PDC/VS). «Il sera peut-être un héros par défaut», glisse Géraldine Savary (PS/VD). La différence avec le scrutin de 2014, c’est que le peuple ne se prononcera pas sur le type d’avion, mais sur un crédit d’acquisition. «Le choix du jet ne pourra pas être pris en otage par les politiques.»

Pour Adrian Amstutz (UDC/BE), le Gripen part avec les mêmes chances que les autres appareils. «Ce sont les évaluations techniques qui diront quel est le meilleur avion pour la Suisse.» En insistant bien sur ce point. «Nous sommes une armée de défense, nous n’avons pas besoin d’un appareil pour faire la guerre.»

Les affaires compensatoires déjà conclues par Saab peuvent-elles jouer un rôle? «Dans la toute dernière phase peut-être», estime Jean-René Fournier. Mais ce qui étonne le sénateur, c’est que Saab envisage de faire acte de candidature avec un simple prototype. «On ne peut pas comparer un aéronef opérationnel avec un jet qui est encore en phase de test.» Un défaut que n’a pas le principal rival du Gripen, à savoir le Rafale du constructeur français Dassault.

Saab a invité huit journalistes. Dans notre cas, l’avionneur a payé le voyage en avion de Zurich à Linköping, deux nuits dans un hôtel trois étoiles, deux en-cas et un dîner, et organisé les visites. La liberté rédactionnelle a été garantie.